Un mariage américain • Tayari Jones

Chaque année, pour la rentrée littéraire, je suis dans une démarche un peu différente de celle de beaucoup de lecteurs car mon attention se porte sur la littérature étrangère. Ce sont souvent dans ces traductions que je découvre des pépites, et « Un mariage américain », conseillé par Barack Obama et Oprah, et lauréat du Women’s Prize for Fiction 2019, avait vraiment tout pour me plaire. Cette parution, en librairie depuis le 28 août, était donc pour moi incontournable. Merci à Plon pour cet envoi.

Résumé …

Celestial et Roy viennent de se marier. Elle est à l’aube d’une carrière artistique, il occupe un bon job et rêve de lancer son business. Ils sont jeunes, beaux, l’incarnation du rêve américain… à ceci près que Celestial et Roy sont noirs, dans un État sudiste qui fait peu de cadeaux aux gens comme eux. Un matin, Roy est emmené au poste, accusé d’avoir violé sa voisine de palier. Celestial sait qu’il est innocent, mais la justice s’empresse de le condamner à douze ans de prison. Les hommes comme Roy ont toujours constitué les coupables idéaux. Les mois passent, la jeune femme tient son rôle d’épouse modèle, subvenant aux besoins de son mari et lui manifestant un amour sans faille, jusqu’au jour où son habit devient trop lourd à porter. Elle trouve alors du réconfort auprès d’André, son ami d’enfance et témoin de mariage. À sa sortie de prison, Roy retourne à Atlanta, décidé à reprendre le fil de la vie qu’on lui a dérobée…

Mon avis …

Cela m’arrive de temps en temps et c’est toujours aussi plaisant. Dès les premières lignes, j’ai su que j’aimerai ce livre. Et ce fut le cas, oh oui. J’ai été touchée par l’écriture, par l’histoire, par les personnages, par les problématiques soulevées par ce roman. Il nous dépeint l’Amérique qui peine à tourner la page de son Histoire ségrégationniste, esclavagiste et raciste. Il raconte une histoire d’amour qui pourrait être banale, mettant en scène un couple qui vit une passion merveilleuse mais aussi des moments de doute. Parce que leurs familles ne se ressemblent pas, qu’ils ont chacun des secrets enfouis, et surtout qu’ils sont noirs, dans un pays où il est préférable d’être blanc, pour tout un tas de raison. C’est la triste réalité des Etats-Unis d’Amérique, et c’est cette même réalité que Roy et Celestial vont rencontrer de plein fouet.

Par un hasard, une coïncidence, une malchance, Roy va être accusé de viol alors même qu’il est innocent. Après avoir vu la série « When they see us » , on ne peut que sentir que cette histoire a une résonance particulière. Dans la prison où il va être incarcéré pour plusieurs années, la plupart des détenus sont noirs, comme lui. Et derrière les barreaux, il va devoir se raccrocher à ce qui faisait son bonheur avant qu’il perde tout. Il va écrire à sa femme, souhaitant garder un lien avec sa vie, espérant ainsi rester un peu lui-même et ne pas sombrer dans la folie et dans la violence. Les lettres échangées par Roy et Celestial voient défiler les années. Il ne bouge pas, comme si sa vie s’était arrêtée, alors qu’elle avance, construit sa carrière, fait des rencontres. Inévitablement, leurs deux vies vont prendre des chemins différents, parce que si Celestial veut survivre et ne pas plonger dans la tristesse, il faut qu’elle continue à inventer sa vie, sans Roy.

« L’amour se crée une place dans ta vie, il se crée une place dans ton lit. A ton insu, il se crée une place dans ton corps, détourne tes vaisseaux sanguins, bat juste à côté de ton coeur. Et quand il part, il laisse un trou. »

L’histoire avance lentement, nous permettant de cerner toutes les interrogations des personnages, et les conséquences de leurs choix. Jusqu’au bout, on ne sait pas vraiment ce qu’il va advenir d’eux, quelle vie sera celle qu’ils choisiront, et le lecteur ne peut que se laisser porter par l’auteur. Il y a un grand réalisme dans le déroulement de l’histoire, et j’ai vraiment beaucoup aimé cette lecture qui est presque une analyse en détails du couple et de ce que la prison peut impliquer dans la vie d’une personne. Pour Roy et Celestial, il y a clairement un avant et un après l’incarcération. Leur vie va en être impactée à tout jamais, et cela est vraiment très bien décrit par l’auteur. Tout n’est pas noir ou blanc dans ce roman, il y a de nombreuses nuances, avec des personnages complexes que l’on découvre petit à petit. On apprend à aimer les personnages mais aussi à les détester, car ils sont humains et prennent des décisions qui pourraient nous sembler contestables. Ce roman n’a rien d’un conte de fée, et on ne peut que s’interroger sur les décisions que nous aurions prises à leur place. L’amour est au coeur du livre, dans tout son paradoxe, et il y a une grande justesse dans la manière dont l’auteur écrit sur un sujet aussi universel.

Ce roman est à la fois doux et très violent, engagé même, pour dénoncer le système judiciaire américain. Car c’est bien de cette incarcération de masse dont il s’agit, dans un pays où plus de 2 millions de personnes sont incarcérées et pour lequel les statistiques sont assez effrayantes quand on compare le nombre de détenus noirs et de détenus blancs. C’est ce fait de société là que l’auteur dénonce, et sur lequel elle s’appuie pour raconter cette histoire, qui est finalement un roman d’amour comme on pourrait en lire des centaines. Sauf que le contexte est différent, que l’on est aux Etats-Unis et que les personnages sont noirs. C’est cela, la réalité, en 2019. On pourrait croire lire un roman historique, mais non. J’aime particulièrement quand les romans sont ancrés dans le réel, et celui-ci l’est véritablement.

Comment reprendre son existence après la prison ? C’est la question à laquelle Roy va être confronté. Parce que pour garder l’envie d’avancer, il lui faut se raccrocher à ce qu’est sa vie, à ses projets d’avenir, à son couple. Sauf que les années passent et que tout change, bien sûr. C’est aussi cette réalité-là, terrible mais forcée, que l’auteur développe. Il faut renoncer à sa vie d’avant pour se réinventer un avenir. C’est dans les détails du quotidien et dans tous les sentiments des personnages que Tayari Jones met en scène toutes ces thématiques avec beaucoup, beaucoup de réussite.

Pour résumer …

Une violente critique du système judiciaire américain par le biais d’un roman pourtant doux et intimiste sur le couple et les choix que l’on fait, en tant qu’être humain.

Ma note : ★★★★★★
(20/20)

6 réflexions sur “Un mariage américain • Tayari Jones

  1. Ce roman me tentait déjà beaucoup mais ta superbe chronique a terminé de me convaincre. Encore quelques belles heures de lecture en perspective grâce à toi. Merci!!!!

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